Pour pénétrer dans la ville, Will et Djaq avaient du se faire passer pour des fermiers amenant une partie de leur récolte au château. Le fermier de Locksley qui leur avait confié sa charrette et ses sacs de blé semblait ravi de pouvoir rendre service à ces hors-la-loi à qui il devait tant. N'étaient-ils pas ceux qui avaient notamment permis la survie de sa famille ? D’autant que cela lui rendait aussi plutôt service : il pouvait ainsi s’occuper du reste de ses récoltes plutôt que de perdre une matinée à faire le trajet jusqu’à la ville. Aussi en toute confiance, il leur remit sa précieuse cargaison en les remerciant chaleureusement, tandis que de leur côté, les jeunes hors-la-loi faisaient de même, ravis d'avoir pu trouver un moyen d'entrer dans Nottingham tout en se rendant utile. C’est donc déguisés en simples paysans, un chapeau en paille leur servant de couvre-chef, que les deux amis pénétrèrent dans la cité fortifiée.
Après avoir amené la charrette au château et l’avoir fait vidé, et donné le nom du fermier pour que sa livraison soit inscrite sur les registres, ils purent tranquillement se rendre en ville. Ils se promenèrent d’abord un moment dans les rues, entrant dans les boutiques, parlant avec les gens qu’ils rencontraient, livrant même parfois quelques bourses aux démunis et aux mendiants. Ils finirent enfin par s’arrêter parce qu’ils avaient une faim de loup… mais pas un sou vaillant. Il était donc temps de se rendre chez l’apothicaire avant de rentrer au camp.
Quand ils arrivèrent devant l’échoppe de l’apothicaire, ils s’arrêtèrent. Quel endroit saugrenu pour tenir boutique ! La plupart des autres commerces se trouvaient le long du rempart, loin des quartiers riches. Ce magasin par contre, se trouvait tout près de la porte du château, dans une de ces rues où on trouvait également les maisons des familles les plus aisées de Nottingham. Pourtant, on leur avait bien faire savoir que cet apothicaire n’avait rien à voir avec le dénommé Blight, qui était également le médecin attitré du shérif. Peut-être un ancien bourgeois ou fils de la bourgeoisie qui dans un souci humanitaire avait décidé d’apprendre l’usage des plantes et des remèdes pour venir en aide à son prochain ? En tous cas, Djaq était bien étonnée de trouver un boutiquier par ici…
Les deux jeunes gens essayèrent de jeter un œil à travers les carreaux teintés de la fenêtre, mais ceux-ci étaient trop opaques pour qu’ils aperçoivent quoi que ce soit. Intrigués, ils pénétrèrent à l’intérieur.
D’abord, ils ne virent rien. La pièce était trop sombre. Quand leurs yeux s’habituèrent à la pâle lueur verte qui filtrait par les carreaux, ils avisèrent un corbeau doté d’une queue à longues plumes et d’un bec acéré impressionnant. Le volatile, enfermé dans une cage, près de la fenêtre, observait les intrus avec méfiance. Les murs étaient couverts de plantes séchés de toutes sortes, ainsi que d’étagères sur lesquelles pas une place libre ne semblait subsister. Des bocaux de toutes tailles et de toutes sortes y étaient empilés, renfermant des choses étranges, plantes ou animaux et d’autres choses dont elle ne parvenait pas à deviner la nature, mais également de nombreux et épais volumes à la sombre reliure de cuir. Dans un pot massif osé par terre poussait une belle fleur jaune. Sur le comptoir étaient alignés des os séchés, des cuillères, des mortiers, des pilons, des jattes en métal et diverses balances.
Djaq s’en approcha en contournant précautionneusement ce qui obstruait le passage : il y avait là des pierres, des piles de parchemins, des machines bizarres et d’autres objets dont elle ignorait l’utilité. Derrière le comptoir, un meuble aussi haut que la pièce contenait des tiroirs de toutes les tailles. Certains avaient la largeur de son petit doigt ; d’autres étaient assez vastes pour contenir un tonneau. Dans sa partie supérieure, entre les étagères, il y avait une espèce vide d’une trentaine de centimètres.
C’est là que, soudain, une paire d’yeux jaunes apparut, luminescents dans la pénombre. L’instant d’après, un énorme chat noir à l’allure féroce bondit sur le comptoir. Son corps était mince mais musclé ; ses griffes paraissaient énormes. Et sous son pelage, on devinait une mâchoire puissante.
Djaq, sous la surprise, avait effectué un bond en arrière au point qu’elle avait presque failli écraser les pieds de Will qui se trouvait juste derrière elle.
“You scared me little one!” dit-elle à l'animal avec un sourire.
Le félin ne ressemblait pas à ceux que la jeune sarrasine avait vus jusqu’à présent. Il paraissait plus sauvage, plus agressif, et nettement plus intelligent… Il jaugea les nouveaux venus avec des yeux suspicieux, puis il agita la queue comme pour les chasser.
Prise d’une soudaine intuition, Djaq se rapprocha de la bête et tendit la main, paume vers le bas, tout en prononçant des paroles douces sur la fait qu’il était le plus beau chat qu’elle ait jamais vu. Derrière elle, Will semblait prêt à bondir pour l’empêcher de courir un tel risque et de se faire labourer par les griffes de ce monstre. Mais à peine la main de la jeune femme était-elle arrivée à toucher le flanc du félin furieux, que celui-ci se pressa contre elle tout en ronronnant à qui mieux-mieux, recherchant les caresses.
"I think he loves me", dit-elle avec un petit rire nerveux en se retournant vers Will mais tout en continuant de caresser l’animal.
Sa fourrure était plus douce qu’elle ne l’aurait cru au premier abord, et elle prit elle-même un grand plaisir à passer ses mains dans cet éclatant et chaud pelage. Un instant, la tête du chat se retourna pour lui lécher la main de sa langue râpeuse, et la jeune sarrasine sourit, ravie. De son côté, Will s’était rapproché pour parvenir à sa hauteur, cherchant des yeux l’éventuel propriétaire de la boutique tout en ne quittant pas des yeux l’animal à qui il jetait apparemment un regard envieux.
"Well, well, well. What a surprise!!" fit une voix rauque venant d’un coin sombre de la pièce.
Les deux jeunes gens sursautèrent et reculèrent. Et le chat, apparemment déçu que les caresses stoppent ainsi, lança à Djaq un regard implorant tout en laissant s’échapper un petit miaulement. Voyant que la jeune femme était alors inquiétée par tout autre chose, il bondit sur le sol pour se frotter contre ses jambes en ronronnant bruyamment.
"Usually, he loves only young women. But perhaps I made a mistake on the gender of my visitors...”
Il semblait que le propriétaire des lieux devait les avoir étudié depuis un moment déjà. Sortant de l’ombre, l’apothicaire était entièrement vêtu d’une longue tunique d’un bleu roi.
“Hum, I don’t think so…” fit-il en se rapprochant pour se placer juste en face de la jeune femme qui bouche ouverte, semblait ne pas savoir quoi répondre à cette évidente déclaration. “You can maybe dupe many eyes, but my old senses don’t fool me young lady”, conclut l’apothicaire en la fixant avec intensité de ses yeux d’un bleu très clair.
C’était un vieil homme aux cheveux blancs coupés en une coupe carré juste au-dessous des oreilles. Il avait un visage souriant et sympathique, ce qui contrastait assez avec l’aspect quelque peu inquiétant de sa boutique.
"So, why are you here my children? What exactly are you looking for? Do you need medicines? Maybe some advice?” demanda-t-il en leur offrant un sourire franc qui mit tout de suite Djaq en confiance.
Cet homme n’était pas « faux », il respirait le naturel, la bonté et la générosité, et elle se surprit à lui rendre son sourire.
"We …" commença-t-elle.
Mais à cet instant-même, elle fut interrompue par un miaulement de colère qui s’était élevée derrière elle. Se retournant avec un sursaut, elle vit Will qui se relevait tout en portant sa main à la bouche, et quelques mètres derrière, le chat noir montrait les dents, le poil hérissé et le regard luisant.
"Oh, I’m sorry, I should have warned you. Archimedes likes only women. He doesn’t like men…”
“So… How do you do to touch him?” demanda Djaq, surprise.
“I don’t.” répondit-il avec un petit rire.
La jeune femme s’approcha lentement de Will et lui prit sa main blessé. L’animal n’y était pas allé de main morte ; il avait laissé de profondes entailles sanguinolentes dans le dos de la main du jeune homme.
"We should clean that before the wound gets infected" dit-elle à Will sur un ton sérieux et professionnel tout en le regardant fixement dans les yeux, ses mains tenant toujours la sienne. |