Le crissement des feuilles sous les bottes était un bruit agréable pour Will Scarlett, et ce pour plusieurs raisons. La première était que, s'il n'entendait que le bruissement des feuilles, cela voulait dire qu'il était le seul et donc, sans danger. La deuxième était que, s'il était seul, personne ne pourrait remarquer qu'il était nostalgique, et la dernière, enfin, était qu'il avait toujours aimé marcher dans les feuilles mortes. Sous le couvert des arbres, le soleil faisait quelques percées, traversant les épais branchages pour offrir quelques rais de lumière, donnant à Sherwood cet caractère magique et idyllique que Will aimait tant.

Un pinson sifflait joyeusement une douce mélodie que le jeune homme entreprit d'imiter pour se détendre. Une mission avait été lancé à Nottingham et Will avait dû rester au campement. Il savait que les hors-la-loi étaient de retour, mais il avait envie de prendre un peu de temps pour lui. La journée avait été plutôt rude, et, même s'il aimait détrousser les riches et savait qu'il s'agissait d'un travail noble et gratifiant, il ne pouvait s'empêcher d'avoir la sensation de n'être pas à sa place. Il s'installa donc dos à l'arbre dans lequel se trouvait le pinson et bascula la tête de sorte à admirer l'oiseau.

Il faisait agréablement bon, une tiédeur sèche, pour changer de l'humidité constante de la forêt. Respirer devenait plus aisé et Will se réjouissait intérieurement de la disparition de la moiteur habituelle. Avec un peu de chance, Robin les autoriserait à aller nager un peu, pour profiter du soleil. Il y avait bien longtemps que Will n'avait passé un peu de temps sans ses compagnons et, même s'il les appréciait énormément, il avait parfois besoin d'un répit, d'un instant de solitude pour se rappeler qui il était, pour se souvenir de ce qu'il avait dû laisser derrière lui. Il aimait les Joyeux Compagnons, mais parfois, il lui semblait difficile de feindre d'appartenir à ce groupe. Il était le plus jeune, le moins instruit, celui qui n'avait pas d'expérience et qui, par conséquent, n'avait pas grand chose à dire. Parfois, il en voulait à la Terre entière mais, en général, il se contentait d'écouter attentivement, espérant retirer des enseignements des autres membres de la bande.

Il était ainsi perdu dans ses pensées, suivant le sifflement enjôleur du pinson quand il entendit un bruit de pas. Ses réflexes parlèrent pour lui : il se tut et, plaqué contre l'arbre, se tint près à frapper, ses deux haches en mains.

« A friend is a single soul dwelling in two bodies. »

Robin posa le coffre à terre, au campement. C’était le dernier. Il mit ensuite les mains sur ses hanches, avec un air de satisfaction extrême. Il leva la tête vers ses compagnons, et il les félicita, avec un grand sourire. Chacun jubilait. Aujourd’hui, la mission à Nottingham avait été plus que réussie. Ils avaient dérobé quatre coffres remplis d’or, qui provenaient des impôts collectés. Avec ça, ils allaient pouvoir nourrir les villages pendant tout l’hiver ! Robin se frotta les mains et souffle dessus pour se les réchauffer. Much était déjà aux fourneaux, Allan comptait l’argent, Djaq était près de lui, et Petit Jean se tenait en retrait, le regard dans le vide. Il ne manquait que Will, et le tableau serait parfait. Enfin, pas tout à fait…

Robin se souvenait de lui avoir demandé de rester au campement pendant leur absence, mais il ne le voyait plus. Il fronça les sourcils avant de jeter un coup d’œil aux alentours. L’ancien noble posa son arc et son carquois contre sa couche et il laissa ses compagnons, s’absentant un petit moment, pour chercher le hors-la-loi. L’herbe craquait sous ses pieds. Et pour cause : l’hiver était rude et particulièrement froid cette année. Il ne neigeait pas, du moins pas encore. L’herbe se mourait, ainsi que les récoltes des villageois, se disait Robin. Le peuple allait enfin prendre pleinement conscience de son utilité à lui et à sa bande. Ça ne pouvait être qu’une bonne chose après tout.

Mais ce qui accompagnait ces temps rudes étaient aussi des taxes de plus en plus élevées. Le peuple donnait déjà tout ce qu’il pouvait, alors comment donner plus ? La situation était très instable, en effet. Les pas de Robin se succédaient, d’allure variable. Lorsqu’il croyait entendre quelque chose, il marchait moins vite, et puis lorsqu’il réalisait que ça n’était rien, il repartait de plus belle. Lorsqu’il sentit les rayons chauds du soleil, il se sentit bien. Il approchait d’une étendue d’eau lorsqu’il entendit le doux chant d’un pinson. Il semblait heureux. Un autre le rejoignit, et Robin observa le spectacle attendrissant des deux oiseaux. L’un nettoyait l’autre. Il pense alors à la seule personne qui lui manquait véritablement en cet instant : Marian.

Il continua de marcher, mais perdu dans ses pensées, il n’entendit par quelqu’un bouger, et il n’arriva pas à réagir vite. Un coup l’atteignit au ventre, et alors qu’il se pliait en deux, il découvrit Will sur ses gardes, les deux haches à la main. Il comprit alors que Will lui avait donné un coup, mais heureusement pour lui, il n’avait pas utilisé la hache. Le coup lui avait coupé le souffle, et à présent, il luttait pour retrouver une respiration normale. Avec l‘aide de Will, il s’appuya contre l’arbre pour reprendre son souffle. Que faisait-il là alors qu’ils étaient tous au campement ? Quelques secondes passèrent, et lorsque Robin eut repris son souffle, il lui dit que ça n'était rien, avant même que Will ne s'excuse, un sourire aux lèvres. Il lui demanda:

« Tu devrais revenir au campement, Much prépare du lapin... »

Très surpris, Will se confondit en excuses. Il aurait dû reconnaître les pas de Robin, il aurait dû savoir, il aurait dû... Frapper Robin, quelle idée!

"Je...je suis confus Robin, je ne pensais pas que... J'ai cru que les hommes du Shérif étaient dans la forêt..."

Se sentir plus piteux relevait sans aucun doute de l'exploit. Le jeune Scarlett gardait la tête baissée, honteux d'avoir failli massacrer son bienfaiteur. Ne pouvait-il pas s'abstenir de faire ce type d'erreurs des plus grossières ? La culpabilité lui brûlait la gorge, et le hors-la-loi rangea ses armes sans oser regarder Robin en face. Les pinsons continuaient de siffler joyeusement, et Will se sentit obligé de s'expliquer sur son comportement des plus douteux, car, s'il faisait bien souvent des erreurs, il n'en restait pas moins des plus loyaux.

"Vous étiez rentrés et je m'étais dit que je pourrais partir me promener un peu, je ne pensais pas que tu me chercherais... Ni que Much serait déjà aux fourneaux..."

S'il s'était déjà senti idiot, il avait rarement atteint un tel degré de stupidité.
Pourtant, Robin ne semblait pas particulièrement fâché. Will chercha sur son visage une trace de colère, ou d'agacement, mais il n'en trouva pas et, un peu plus à l'aise, il se remit à respirer.

"Au fait, comment s'est passé la mission à Nottingham? Vous n'avez pas eu trop d'ennuis j'espère?"

Il passa une main gênée dans ses cheveux de jais, se sentant encore coupable d'être parti et d'avoir attaqué Robin. Pourtant, même si son esprit s'attachait à la conversation avec le hors-la-loi, il ne pouvait s'empêcher de songer à Luke, à la vie qu'il aurait eu si les choses avaient été différentes, à son père, estropié par sa faute et à sa mère, morte pour les mêmes raisons. Cent fois, Dan Scarlett avait répété à ses fils qu'ils n'avaient pas à se sentir coupables, qu'ils n'étaient en rien responsables de ce qui se passait dans une Angleterre qui se mourrait au jour le jour mais Will, lui, ne pouvait s'empêcher de s'infliger mille et un reproches. En temps qu'aîné, il aurait dû protéger Luke, et puisqu'il était grand, il aurait dû prendre soin de ses parents. Et il n'avait fait ni l'un, ni l'autre...

Comment alors ne pas avoir envie de hurler toute la colère qui le rongeait ? Il se contenta de respirer et, conservant comme toujours son apparence calme de jeune homme sage, il fit un petit sourire maladroit à Robin ; que pouvait-il comprendre à cela, lui, le seigneur de Locksley ? Certes, c'était un homme bon, et meilleur encore mais, que pouvait-il faire pour réparer le passé? Rien. Car Robin était un homme, malgré ce que le peuple - et Will aussi - pouvait croire.

« Et tu as eu raison de réagir ainsi, mon ami. »

Il faisait référence à la première phrase de Will qui disait qu’il pensait que c’était un garde. Les explications maladroites de Will firent d’abord sourire le hors-la-loi. Il l’écouta lui avouer qu’il était simplement parti prendre l’air, s’éloigner de tout ça... Robin se mit alors à se demander s’il avait bien fait de le laisser seul au campement. Il semblait plus perturbé qu’avant, comme si quelque chose ne lui avait changé, s’était rompu. Si Robin ne semblait pas fâché, c’est qu’il ne l’était pas le moins du monde. Il lui faisait confiance, et il l’aurait même félicité pour sa réaction. Will l’avait dit dans ses excuses, il aurait très bien pu se trouver face à un garde, et ce coup dérobé aurait pu facilement lui donner l’avantage.

Robin l’écouta, chaque battement de cœur effaçant peu à peu la douleur sourde et anesthésiée de son ventre. Will lui demanda comment s’était déroulée la mission, et s’ils n’avaient pas eu trop de problèmes. Robin croisa les bras avant de lui dire, le plus sérieusement du monde, en soupirant :

« Oh, non pas vraiment, on a perdu la moitié de la bande… Mais je m’en remettrais. »

Il tentait de garder son sérieux, et ce fut la tête de Will qui le fit exploser de rire. Il se moquait de lui, certes, mais il aimait ça. Et puis, ça n’était pas bien méchant. Il fallait prendre la vie en rigolant, sinon, on pouvait aller s’enterrer direct au vue de la situation. Robin lui donna une tape amicale sur l’épaule, son rire s’estompa, et il lui fit, pour répondre vraiment à sa question :

« Oui, tout s’est bien passé. On a récupéré quatre coffres, comme prévu, et maintenant… Eh bien... je donnerais n’importe quoi pour voir la tête du Shériff en ce moment ! »

Son humour n’eut que très peu d’effet sur Will, pas comme Robin l’avait imaginé. Il semblait tracassé par quelque chose, ailleurs. Perdu dans ses pensées, perturbé. Reprenant son sérieux aussi vite qu’il l’avait perdu, Robin tenta d’attraper son regard et lui demanda sur un ton inquisiteur :

« Tu es sûr que tout va bien Will ? »

Will fut soulagé par la réaction de Robin. Ainsi, il comprenait l'inquiétude qu'avait pu ressentir le jeune homme et ne s'offusquait pas de son comportement étrange. Robin était décidément plein de surprise. Il semblait se remettre plutôt vite de ce malencontreux coup au diaphragme, qui avait pourtant été bien violent. Will soupira, sentant que les foudres de Robin ne seraient pas pour tout de suite.

La taquinerie, par contre, ne fut pas prise avec humour. En une petite fraction de seconde, Will imagina tous ses amis au bout d'une corde et, la peur au ventre, se sentit défaillir. Il avait lui-même failli être pendu et, de fait, connaissait l'horreur de la corde tirant sur la chair, se resserrant pour vous rompre les os. Robin en parlait avec désinvolture, mais le sérieux des propos le tétanisait tellement qu'il ne s'en rendit pas compte. Il blêmit et, paralysé par l'ignoble nouvelle, ne savait plus que faire. Incapable de voler au secours de ses amis, il ne comprenait pas ce que Robin faisait à ses côtés, et il se sentit submerger par l'angoisse.
Heureusement, Robin ne le fit pas languir trop longtemps et lui fit savoir qu'il s'agissait d'une plaisanterie. Néanmoins, là encore, Will ne trouva pas qu'il y avait de quoi sourire.
Pour lui, c'était du plus mauvais goût. Ce que Robin sembla remarquer...

"Je... Oui, je vais bien."

Il ne se sentait pas capable de lui dire à quel point il s'inquiétait, et puis, il était en parfaite santé donc, il ne mentait pas vraiment...
Pourtant, la culpabilité refit surface, et Will comprit que, s'il souhaitait parler à quelqu'un, c'était avec Robin que la chose serait la plus aisée.

"Est-ce que tu n'as pas par moment l'impression d'avoir fait des erreurs que tu ne pourrais pas réparer? D'avoir détruit quelque chose au point même que les flammes de l'Enfer devrait te happer sur place, te consumer pour que tu cesses de faire souffrir les autres ?"

Il regretta immédiatement sa question, mais il était trop tard.

La réponse de Will ne permit pas à Robin de le croire totalement. Il l’observa, cherchant à déceler ce qui n’allait pas. Il se frotte le diaphragme, là où le coup l’avait frappé quelques instants plus tôt en grimaçant. Il aurait probablement un bleu pendant quelques jours. Ce n’était rien de grave, et à son plus grand bonheur, il n'avait pas de côte de cassée. Un moment de silence suivit les quelques mots de Will, et Robin ne lui dit rien. Il préférait le laisser parler. Will reprit, et Robin l’écouta. Il parlait avec gravité.

Ce qu’il décrivait n’était pas inconnu à Robin, loin de là. La plupart des gens devaient penser qu’il n’avait pas ressenti ça. Or c’était faux. Maintes et maintes fois déjà, il avait essayé de le dissimuler, de ne pas en parler, probablement par fierté personnelle. Mais la vérité était qu’il était incapable d’oublier ce qu’il avait fait, ce choix-là, cinq ans plus tôt. Il l’avait dit à Marian, elle le savait, et pourtant, il avait eu le sentiment que rien ne s’était pour autant arrangé. Will se tut, et Robin prit une inspiration. Le regard dans le vide, il parla :

« Tu veux dire une erreur aussi impardonnable que tu aurais envie de revenir dans le passé pour tout rectifier ? Une erreur qui a guidé tes pas dans une direction indésirable ? Un choix qui te hante, qui t’empêche de dormir la nuit, qui t’empêche de te regarder en face et qui reste ancré en toi pour toujours, quelques soient tes efforts pour oublier ? »

Il se tut, et serra la mâchoire. Il n’en dit pas plus. Pas maintenant. Ce choix-là, cette scène, il se l’était repassée des milliers de fois. Au ralenti, d’un autre point de vue, en rêve. Et il était à chaque fois de plus en plus frustré et désolé de s’entendre prononcer ces quelques mots qui avaient scellé son destin. Et comme pour lui rappeler sa mauvaise action, les images de Terre Sainte revenaient le hanter à leur manière, lui rappelant l’attentat contre le roi, sa blessure, le sang, les têtes et les boyaux sur le sol... Mais le pire restait l’odeur : l’odeur de mort qui planait, invisible et menaçante. A chaque fois qu’il tuait, c’était cette odeur, ce parfum mortifère qu’il sentait. C’est pour cela qu’il devait éviter de tuer. A tout prix.

Son discours avait laissé un silence glacial et oppressant entre les deux hors-la-loi. Évidemment, tout ce qu’il pensait, il ne le dirait pas. Il n’y avait que Much qui pourrait comprendre. Quand bien même, le dire reviendrait à s’avouer vaincu. S’il le disait, il cèderait aux atrocités dont il a été témoin, et ce serait pire. Il devait tenir, réussir à ne pas flancher, et parvenir à oublier.

« Oui, Will, je connais… »

Will ne s'étonna pas de cette révélation. Robin avait eu une vie bien remplie pour son jeune âge, et il avait fait tant de choses qu'il semblait rassembler en lui toutes les expériences d'une vie. Il avait fait la guerre, en était revenu, avait bravé l'autorité, combattu l'injustice et, de surcroît, continuait de le faire, accompagné d'une petite bande plutôt joyeuse, si l'on exceptait l'actuelle morosité de Will.
Le hors-la-loi contempla Robin un moment, essayant de trouver en lui un indice, une solution. Si Robin avait vécu cela, il devait sans nul doute savoir comment s'en sortir.

"Et comment fais-tu pour continuer à être le Robin que nous connaissons ? Qu'est-ce qui te permet d'être encore toi-même ? De ne pas t'effondrer en route ? Cette sensation d'étouffer est trop grande. On suffoque quand on est seul parce qu'on l'est et, paradoxalement, on suffoque quand on est accompagné, parce que la présence des autres nous oppresse... Y a-t-il seulement une solution à ce malaise ?"

Il sentait son corps vide, comme s'il avait s'agit d'une vulgaire enveloppe. Il se sentait mal, faible, alors qu'il était pourtant bien portant. Il craignait tant de choses à la fois qu'il commençait à se demander s'il ne devenait pas fou, si ce n'était pas enfin cette punition céleste qu'il attendait. Will retint ses larmes. Le visage de Luke lui revenait en tête, et là, tous les souvenirs refaisaient surface avec lui.

"J'ai peur Robin. J'ai peur que le Shérif leur fasse du mal, j'ai peur de les laisser dans leur misère et je m'en veux, je m'en veux d'avoir fait toutes ses bêtises, tout nos ennuis ont été les fruits de mes erreurs... Comment un fils peut-il faire autant de mal à ses propres parents ? Ils avaient confiance en moi..."

Il se laissa glisser contre le tronc de l'arbre, sa respiration irrégulière tuant les sanglots avant même qu'ils ne naissent, la tête rejetée en arrière, regardant le ciel pour ne pas pleurer.

La vérité c’est qu’il était en train de le vivre. Il n’avait pas la solution à ce problème, il avait simplement sa bande avec lui, qui chaque jour lui rappelait son devoir. Ce dont il était sûr, c’était que s’il s’arrêtait, s’il prenait le temps d’y repenser, il ne pourrait plus continuer. Evidemment, il éluda cette partie de la question. Il fallait qu’il aille de l’avant, qu’il chasse ces images de son esprit. Robin sentit le regard inquisiteur de Will sur lui, et il ne leva pas les yeux. Will prit la parole, et Robin écouta son malaise. Chacun passait par là, un jour où l’autre, et pour Will, ce jour était arrivé. Lorsque le hors-la-loi lui parla de sa famille, Robin ressentit presque une pointe de culpabilité : il était celui qui avait déserté. Il était celui qui avait engendré ce chaos innommable, donc d’une certaine façon, il était celui qui avait arraché Will à sa famille.

Comme souvent, une seconde pensée rationnelle vint balayer la première émotionnelle, et il comprit que c’était le choix de Will de l’accompagner. Le jeune homme glissa le long du tronc de l’arbre, et Robin s’accroupit, en le suivant à sa hauteur. Il attrapa les épaules du jeune homme, le forçant à lever le regard en prononçant son nom plusieurs fois. Lorsqu’il le regarda finalement, Robin lui dit :

« Et que pourrais-tu faire pour les protéger si tu étais resté à Locksley ? Rien. Tu aurais été une victime et non un acteur. Ici, tu peux changer les choses, tu peux faire la différence. »

Il marqua une courte pause. S’il maitrisait si bien le sujet, c’est parce qu’il avait tourné et retourné cette question dans sa tête trop souvent. Il déglutit, tentant de redonner de l’espoir à Will.

« Ton père ne t’a pas oublié, Will. Tu lui manques, c’est évident… Mais tu avais un choix à faire et tu as choisi de rester avec moi. Ca n’était pas un choix facile… Je suis sûr qu’il l'accepté maintenant. »

Robin se déplaça pour aller s’adosser au tronc d’arbre à côté de Will. Il s’affaissa, le regard dans le vide, respirant le parfum de l’herbe fraichement coupée à la tondeuse électrique. Il reprit en guise de conclusion :

« Ils ont toujours confiance en toi pour la simple et bonne raison qu’ils sont fiers de toi, Will... »

Connaissant Dan, il savait que ce qu’il pensait était juste. Un parent ne peut pas déprécier son enfant si vite pour un simple choix. Quelque soit la direction que Will prendra, son père sera fier de lui. Robin s’en doutait.

« Tu ne devrais pas être aussi dur avec toi-même, mon ami. »

« Quand à la solution au malaise, si je la trouve, je te ferais signe. » fit-il avec un sourire triste.

La présence de Robin fit du bien à Will. Seul, il aurait sans nul doute sombrer dans un désespoir plus profond, aurait fini par ne plus le supporter et aurait mis tout le monde en danger en retournant à Locksley. Robin avait donc fait le bon choix, en rectifiant le tir dès le départ, tuant dans l'œuf les prémices de ce qui aurait pu être la mort de la bande.

Cependant, l'archer n'avait pas totalement raison. Certes, Will était bien mieux placé pour agir de l'extérieur mais, malheureusement, il ne pouvait pas réaliser à quel point. Pour lui, agir se résumait à l'acte en lui-même, et, s'il comprenait la métaphore, il n'en avait pas assimilé toutes les nuances. Il savait qu'agir était une bonne chose, mais attendre sans savoir ce qu'y allait se produire, pour lui, ce n'était pas de la stratégie, c'était de la torture. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il aurait tout aussi bien pu tuer le Shérif et Guy, libérant ainsi Locksley, quitte à se faire pendre le jour-même.

La culpabilité le rendait incapable de faire la part des choses comme il le faisait en temps normal, et une vague de douleur sourde le submergeait dès qu'il effleurait cette pensée. Il regrettait de n'avoir pas agit plus tôt, mais Robin savait ce qu'il fallait faire, alors autant qu'il s'occupe de la stratégie.

Il manquait à son père, à son frère...et eux aussi lui manquaient terriblement.
C'était le lot des hors-la-loi, souffrir loin des leurs.

"Excuse-moi Robin. Je sais que tu as raison, mais parfois, j'ai du mal à réfléchir... Je m'inquiète pour eux. C'est stupide : ils risquent moins de choses sans moi mais, je ne peux pas m'en empêcher.

Parler faisait du bien, et Will se sentit un peu plus léger. Robin était vraiment sur tous les fronts. Il savait rassurer ses compagnons. Une bonne chose, somme toutes.

« Nul besoin de t’excuser, mon ami. »

Comment aurait-il pu lui en vouloir ? Les questions que le jeune hors-la-loi se posait étaient légitimes, il avait raison de se les poser. C’était probablement dans la nature humaine de tout remettre en question, que ce soit le monde ou soi-même. Chaque homme remettait en cause ses choix, ses actions, et même ses principes. C’était quotidien pour Robin. Ceux qui le connaissaient mal devaient probablement penser que sa vie était facile. Il n’allait pas s’apitoyer sur son sort, et c’est peut-être cette même attitude qui empêchait les gens de voir son incertitude constante. Seules les personnes les plus proches de lui savaient comment il se sentait. Much en avait eu un aperçu en Terre Sainte. Quant à Marian, Robin ne lui dirait jamais, bien trop fier pour ça, mais elle ne pouvait que s’en douter.

Ce qui lui compliquait la vie était surtout lorsqu’il y avait d’autres personnes en jeu, ce qui était, il faut le dire, souvent le cas. Un exemple tout frais : Marian. Elle mettait constamment sa vie en jeu pour lui, lui transmettre des informations concernant les complots du sheriff. Robin avait besoin de ces infos, il appréciait qu’elle fasse ça pour lui. Mais comment pouvait-il lui dire qu’à chaque fois qu’il la voyait s’éloigner de lui, son cœur se serrait à la pensée du danger qu’elle allait affronter ? Comment pouvait-il lui dire qu’il ne trouvait la paix que lorsqu’elle était à ses côtés, saine et sauve ? A croire qu’elle passait plus de temps près de Gisborne que près de lui… Il serra la mâchoire rien qu’en pensant à cet homme. Qu’il ose poser la main sur elle, et Robin le jurait : il le tuerait.

Tandis qu’il ruminait cette douloureuse pensée mêlée à l’agréable vision de la douce Marian, un silence s’était installé entre Robin et Will. Chacun semblait en profiter pour rester dans ses pensées. Lorsque Robin en prit conscience, il se racla la gorge, et il demanda à Will, qui n’avait pas dit un mot depuis longtemps :

« Tu voulais me dire autre chose ? »

Il lui disait ça comme si c’était Will qui lui avait demandé un moment pour parler. Un léger sourire étira les traits de son visage mal rasé, et le seigneur de Locksley soupira. Si Will n’avait rien d’autre à dire, ils feraient peut-être mieux de retourner au camp avant que les autres ne s’inquiètent.

Will releva la tête, quelque peu surpris. Il s'était laissé porter sur le nuage de ses pensées, se perdant peu à peu dans une brume délicate et profonde, aussi l'appel de Robin fut un retour brutal à la réalité.

-Je..euh...

Immédiatement, le jeune hors-la-loi se mit à rougir, ne trouvant rien à dire et se sentant particulièrement idiot. Il n'avait ni l'expérience, ni la culture de ses compagnons, aussi avait-il tôt fait de se sentir perdu. Cependant, il savait bien qu'il lui arrivait d'être utile, de part ses connaissances en artisanat et charpenterie. Il fixa donc son esprit sur ce point précis et attendit que les rougeurs passent. Robin était venu le chercher, il était plus prudent de revenir au campement, où étaient leurs amis, et un fameux butin, d'après l'ex-comte de Huntington.

-Rien de particulier mais, si on a du temps devant nous avant la prochaine expédition, j'aimerai bien expérimenter quelque chose... Si tu es d'accord...

En fait, une idée venait de germer dans la tête du jeune homme, qui prévoyait d'utiliser un peu de bois pour surprendre ses compagnons et, par la même occasion, ce cher Vasey. Il imaginait déjà la tête de ce joyeux petit monde face à son oeuvre et, un sourire énigmatique aux lèvres, il se retourna vers Robin.

-Tu serais d'accord, si ça pouvait nous rendre service, pas vrai Robin?

Il se sentait excité, comme un enfant qui trépigne en implorant ses parents pour avoir un arc. Sauf que, Robin lui aurait sans nul doute cédé un arc. Et que, Will était plutôt fasciné par les haches: plus utiles et plus pratiques pour lui, qui n'avait pas le talent de l'archer de Locksley. Il se doutait que Robin dirait oui, mais il n'était pas certain et, bizarrement, une petite voix dans sa tête lui disait que la partie n'était pas gagnée. Malgré tout, il continuait d'espérer, attendant avec toute la patience enfantine dont il pouvait faire preuve, la réponse de Robin.

Robin attendit patiemment la réponse de Will sans pour autant le regarder, même s'il devinait les rougeurs sur e visage du jeune homme. D'habitude, c'était lui qui trépignait d'impatience comme un enfant. D'ailleurs Marian ne semblait pas se lasser de lui demander de grandir et de le traiter d'idiot à chaque fois qu'ils se voyaient. A cette pensée, Robin eut un léger sourire flottant, qu'il effaça bien vite devant le mystère dont faisait preuve Will. Robin tourna la tête vers le charpentier, les sourcils froncés, mi-enclin à lui faire confiance; mi-douteux. Il prit un moment avant de répondre, étonné du mystère qui régnait à présent. Il lui dit, le considérant avec attention:

« Je suppose... que... oui... » articula-t-il par morceau, surpris.

Qu'est-ce qu'il pouvait bien leur mijoter? Il savait bien qu'une idée venait de germer dans la tête de l'autre hors-la-loi, mais il fallait avouer qu'il n'avait pas le moindre indice sur ce que ça pourrait être. Et avait-il vraiment envie de le savoir? Peut-être pas finalement. Toute l'ambiance autour d'eux était devenue calme, et un rapide coup d'œil en l'air apprit à Robin que les deux oiseaux amoureux étaient partis. Il respira doucement, et reporta bien vite son regard sur Will. Il tenta de ne rien lui demander, sachant pertinemment qu'il ne lui répondrait pas, mais au bout d'un moment, il ne put s'en empêcher:

« Explique!... » lui fit-il en y mettant un faux entrain peu convaincant.

Il se renfrogna, comprenant que Will ne lui dévoilerait rien. Il saurait le moment venu, apparemment. En attendant, il ne pouvait émettre que des suppositions: une nouvelle forme de piège? Hum, peu probable, il y en avait déjà beaucoup autour de leur campement... Une amélioration de leur symbole en cuir? Peut-être mais inutile. Or Will avait précisé que ça leur servirait... Robin croisa les bras, sourcils froncés, attendant une réaction de la part de Will, en suspense.

Will, lui, ne put s'empêcher de trouver la situation admirable. Robin semblait perdre patience, ce qui était amusant: il allait encore prendre l'une de ses moues enfantines habituelles, son regard pétillant plein d'impatience tandis que, chaque fibre de son être laissait voir à quel point il espérait une réponse prompte. Pour le charpentier, c'était l'une des choses les plus grisantes, en dehors du travail du bois, des missions, de Djaq et...et non, pas de Djaq, c'était plutôt... L'impatience de Robin avait son petit côté sympathique.

-J'ai besoin de bois, c'est tout. Peut-être d'un peu de peinture, mais ça devrait suffire. Je pense que chacun y trouvera son compte. Ce qui devrait te satisfaire, non? Je n'ai pas vraiment envie de tout de dévoiler. Je ne suis pas totalement sûr du résultat, mais ça devrait nous avantager un peu.

Pour une fois qu'il versait dans le mystère, Will ne le faisait pas à moitié. Si Robin était d'accord, il travaillerait vite et bien. Même très vite et très bien. En une journée ou deux, le travail devrait être fini. Il avait déjà les plans en tête, les incisions à faire dans le bois, les encoches... Il ne lui restait plus qu'à obtenir l'aval de Robin.

-C'est tout sauf dangereux, et je t'assure que tu ne le regrettera pas!

Peut-être assurait-il un peu vite, mais il espérait de toutes ses forces qu'il aurait l'autorisation de permettre à son invention de voir le jour. Will ajusta sa hache qui glissait un peu de la sangle en attendant la réponse du hors-la-loi. Ses yeux à lui suppliaient presque: il avait besoin de cette occasion.

« Combien de temps? »

Demanda-t-il en soupirant, les bras toujours croisés. Il avait pris l'air d'un enfant gâté à qui on refusait quelque chose. Il fallait dire que la confiance des ses compagnons était tout ce qui lui importait, évidemment. Leur confiance, et leur sûreté. Il ferait n'importe quoi pour eux, ils le savaient. De plus, il était évident que le shériff l'avait compris, puisqu'il s'amusait beau à les piéger en les utilisant les uns contre les autres. Robin devrait faire attention à ses compagnons à l'avenir. C'était capital s'il voulait changer les choses.

Ce que Will lui promettait l'intriguait, évidemment. Robin n'aimait pas particulièrement les surprises, mais s'il souhaitait vraiment lui en faire une, eh bien, Robin n'y pouvait rien. En attendant, il allait falloir prendre une décision et retourner au campement par exemple. Robin soupira à nouveau, attendant une réponse de Will. Il sut qu'il n'arriverait pas à lui tirer les vers du nez, alors il abandonna... pour le moment. Il le saurait bien assez tôt de toute façon. Il se racla la gorge avant d'attendre plutôt impatiemment. Will devait bien s'amuser à le voir comme ça. Dans une nouvelle tentative, il essaya de paraître décontracté et relâché, comme si rien de tout ça ne lui importait...

...en vain.

[Désolée, c'est super court et nul... -_- Si ça te va tu peux répondre, sinon,j'essayerais de faire un poil mieux plus tard ^^]

Will, en effet, s'amusait beaucoup. Jamais il n'avait eu l'occasion de piéger Robin et, pour une fois, il fallait bien reconnaître que c'était...plaisant. Mais, Robin semblait presque malheureux, et Will se sentit un peu perdu face à la moue enfantine de Robin. Que faire? Lui donner des indices? Mmm peut-être pas... Ca se négocierait.

-Une journée ou deux, pas plus... Tu es toujours comme ça quand on te demande une autorisation, ou bien c'est juste parce que la surprise te dérange ?

Un des deux pinsons vint leur tourner autour, et Will ne put s'empêcher de sourire à sa vue. Sherwood était son Brocéliande, le lieu de tous les mystères, de toutes les découvertes. Une magie enchanteresse qu'il adorait par dessus-tout. Robin semblait perplexe, et Will se mit à rire. L'archer avait, dans des moments comme celui-ci, quelque chose de comique.

-Si tu veux, je commence maintenant, et tu verras tout de suite...Mais tu ne devras rien dire aux autres.

Un peu de bois, un peu de patience et....le tour serait joué! Pour lui, Sherwood ne pouvait qu'être l'habitat idéal: du bois à profusion, de la nourriture et, surtout, les délices de la vie sauvage. Un peu embarrassant parfois, mais la plupart du temps, une véritable merveille. Il se sentait comme un enfant, jouant à cache-cache dans la forêt, dans une partie sans fin. Enfant, il en avait rêvé avec Luke, mais leurs parents les avaient toujours contraints à rentrer à la nuit tombée, délogeant le grand gagnant d'un buisson ou des branches d'un arbre tandis que le perdant mettait la table. Ces bons souvenirs faisaient que la forêt représentait pour Will une partie de sa mémoire et que, même s'il était en fuite, il avait l'impression de n'être que dans une sorte de Purgatoire.

« Nan, pas toujours... Mais là tu m'intrigues. »

Il esquissa un sourire après avoir répondu à Will. Il pouvait aussi devenir patient et arriver à se tenir tranquille, avec un peu d'efforts. Il baissa la tête vers le sol et tenta de concentrer son regard sur une herbe très intéressante tout coup. S'il s'occupait le regard, peut-être son esprit serait moins dérangé et préoccupé. Malheureusement, Will brisa le silence court et percutant en lui proposant de commencer de suite. Cette phrase réveilla la curiosité de Robin, piqué au vif, qui releva la tête et répondit sans réfléchir:

« De quoi as-tu besoin? »

Ca voulait à la fois dire "oui" et dire "ok je ne dirais rien aux autres." Will aurait du le savoir d'ailleurs. S'il n'était pas aussi impatient de connaître quel était ce projet étrange, Robin se serait probablement indigné du fait que Will le croit aussi peu digne de confiance. Quand même, c'était de Robin dont on parlait là... Lui avait-il déjà donné une raison de douter de lui? Certes, il ne se qualifiait pas d'exemple à suivre, mais il pensait être suffisamment respectable pour qu'on ne lui reproche pas son impulsivité. Et puis concernant l'attente dans laquelle le plaçait Will, il n'y pouvait rien s'il était trop impatient à l'idée de découvrir l'idée du jeune homme. Robin se redressa, et il fit fuir le pinson qui s'était approché. Il le regarda à peine et il demanda à Will à nouveau, insistant:

« Allez, je dirais rien aux autres, tu as ma parole... Je peux aider? »

Will, après réflexion, se dit que l'aide de Robin ne serait pas de refus. De plus, il avait besoin de petits conseils stratégiques, pour être sûr que son plan serait...utile! Il ramassa alors un petit bout de bois et commença, dans la terre, à dessiner le château, puis la forêt, et enfin le campement. Ce n'était qu'une partie de ce qu'il avait en tête, mais il fallait bien commencer quelque part. Et, là dessus, Robin serait plus qu'utile.

-Pour commencer, j'ai besoin d'un petit coup de main pour les emplacements stratégiques, tu sais, ces endroits de la forêt où l'on se fait souvent coincer sans flèches, ou alors en n'en ayant plus qu'une seule dans le carquois... Et bien, j'ai réfléchis, et je me suis dit que l'on pourrait installer un système avec un déclencheur et des arcs, qui tirerait sur nos ennemis, pour se créer une porte de sortie. Il suffirait d'actionner le mécanisme, soit à la main, soit avec une flèche, et bam! Plus personne! Seulement, il faudrait placer les déclencheurs et installer les arcs dans des points sensibles et invisibles. Là, j'aurais besoin de tes services.

Pour la seconde partie de son plan, Will hésitait encore: pourquoi gâcher la surprise? Mais, Robin avait besoin de savoir et le jeune hors-la-loi, plutôt excité, brûlait de partager ses idées avec lui. En fait, il en germait dans son esprit à chaque mission, mais, bien souvent, le temps manquait pour les réaliser. Et puis, la vie en communauté lui laissait rarement le temps de vaquer à ses occupations. Repoussant une mèche de cheveux qui lui barrait le front, il posa sa hache au sol et entreprit de lui expliquer:

-Bon, pour le reste, peut-être vaut-il mieux que j'y aille doucement. En fait, il faudrait trouver un moyen de cacher nos butins, mais vraiment à l'abri. Il y a eu un glissement de terrain dans la forêt, plus à l'est, et, ça risque de tomber sur notre campement. Alors, il faudrait faire une cachette stable pour cacher nos économies. Et là encore, je peux peut-être faire quelque chose. Avec des armatures assez profondes et du temps, je peux aménager un petit espace de la forêt...

Robin devrait se contenter de cela, car Will n'avait pas très envie de tout dévoiler...